Un dôme immaculé d'une centaine de mètres de diamètre, bâti d'une matière qui, frappée des rayons safrans du soleil, communiquait à l'atmosphère environnante quelque chose de magique, d'enivrant et de redoutable à la fois. Un symbole de l'invocation de la magie par la science. C'est là que tout débuta. La Source de la Combination.
Le soleil touchait à son zénith quand l’homme entra dans le noyau, l'amphithéâtre central, laissant entendre autour de lui les douces caresses de l'ourlet de sa toge blanche sur le sol.
Le pas de l'érudit était lent et sa démarche un peu lasse le conduisit sur l’estrade où se trouvait un pupitre de bois sombre usé par les ans, et sur lequel il s'appuya de ses mains.
Ils étaient là. Les ultimes témoins de sa dernière marche étaient présents. Ils l’attendaient, et dans leurs yeux se laissait deviner un mélange de vénération et de tendresse. Ils le connaissaient depuis si longtemps, cet homme qui les avait toujours honorés de sa présence lorsqu'elle s'était avérée nécessaire ; un maître, un mentor, un ami... presque un père.
Ils avaient vu la neige saupoudrer ses cheveux, ses sourires s'accorder à leurs rires, le pétillement de fierté dans ses yeux lorsque l’une ou l’autre de ses jeunes pousses découvrait un concept ou une théorie.
Porteur de connaissances, adepte du savoir, il leur avait appris à ouvrir leurs esprits, à être curieux de toute chose et surtout à extirper la vanité de leur âme, pour toujours mesurer humblement l’étendue immense, presque infinie, du chemin qui leur restait à parcourir.
Son regard se promena un instant, puis il ferma ses yeux embués par l'émotion avant de prononcer le dernier discours, les dernières paroles : ses derniers préceptes enseignés à ceux qui, demain, présideraient la destinée de leurs peuples, ce sacerdoce auquel il les avait préparés durant toutes ces années.
Sa voix habituellement emplie de douceur recelait de troubles que seul un homme dénué de coeur pourrait se vanter de pouvoir corriger, lorsqu'elle s'éleva dans la pièce.
« Mes chers disciples, je vous remercie d'être une nouvelle et dernière fois présent. Ceci sera donc à la fois mon adieu et votre genèse. Laissez-moi, avant que nous n'abordions le sujet de mon départ, vous conter les fondements de votre émancipation.
La route sur laquelle vous allez vous engager ne sera pas seulement longue. Non, elle sera sinueuse, aride et trompeuse, mais elle vous conduira assurément vers la lumière.
Pour l'emprunter, il vous faudra faire fi des pressions, vous enrichir de vos erreurs, et surtout ne jamais renoncer. Prenez chaque théorie découverte comme l'affirmation des fondements de votre cause, et gardez à l'esprit la noblesse de votre mission. C'est ainsi que vous avancerez avec l’humilité du travailleur qui, sans relâche, œuvre pour les autres au prix de son existence.
Je suis intimement persuadé que chacun d’entre vous, à sa manière, sera salvateur de l'aube d’un futur irradiant de clarté pour vos peuples, sans pour autant en revendiquer l'origine. »
Il marqua une pause, se délectant — une dernière fois, il le savait — de la vision de ses disciples qui par leur silence confirmait leur éternelle besoin d'apprendre des autres ; celui-là même pour lequel il s'était tant battu.
« Vous formez un tout mais vous êtes uniques. Ce sont vos différences qui abreuveront la combination des techniques, le maître mot de nos objectifs.
Vous saurez faire la somme de vos individualités pour procréer. Oui, procréez ! Générez ce que personne n'attend, innovez, et instaurez enfin l'ultime alliage de la science et de la magie !
Et n’oubliez jamais qu’on ne détruit jamais vraiment les ténèbres en luttant contre elles, c'est en faisant rayonner la lumiè...»
Le choc a foudroyé l'assemblée. Les yeux de l’homme s’écarquillent, il est surpris par la fulgurance de la douleur, son corps dont le thorax est déjà ensanglanté s’effondre sur l’estrade dans un bruit sourd.
Arphaël, Maître pédagogue de la source, venait de rendre l’âme, lâchement assassiné sous le regard abasourdi de ses élèves.
La conception de combination avait ses détracteurs.
Les jeunes dirigeants disposaient des outils et des objectifs. Ils venaient de trouver maintenant la froide détermination de les mettre en œuvre ensemble.
Ce meurtre avait claqué comme un coup de fouet au sein de la Source. La doctrine combinationniste semblait en effrayer plus d’un, et certains en étaient venus à l’irréparable pour freiner son développement. Mais ceux-là avaient des semaines de retard : la graine était semée et la preuve, incarnée en ces jeunes dirigeants, viendrait bien assez vite.
Nikki Katarilis, déjà dissimulée sous le masque de son alter ego, Karlina Meryne, s'exerçait à un jeu particulièrement enivrant, depuis l'assassinat que ses ficelles inextricables avaient elles-même perpétrées. Cet homme dont elle avait tant convoité la place, n'avait su, sous l'inopinée félonie, donner ses dernières consignes. Et, l'esprit d'une ex-Amirale platine ayant pris le dessus sur les autres concurrents, elle accédait sous les angoisses de ses collègues à la place du meneur, puisqu'à présent nul n'était l'érudit, car érudit il n'y avait plus. Elle le deviendrait. Effacer le passé, reconstruire l'idéologie sur de nouvelles bases ; ne plus servir un peuple mais la totalité de Galactica. Ceci pour le bien commun tant désiré par Karlina, mais surtout pour le renom convoité par Nikki, qui depuis trop de mois ne fait qu'attendre sa renaissance.
Elle mènerait les Procréateurs où elle l'entendrait : au royaume des songes dont l'acharnement et l'expérience oblitéreraient l'utopie, cette immuable frontière qui toujours aliéna les hommes à un sol que la constance du cartésianisme avait pourri. Ils sauraient en exploiter les faiblesses et, sans trembler, mystifier leurs opposants — la race des guerriers — pour leur asséner le coup fatal.
« Nous devrons être prudents », leur dit Nikki, une fois à l’abri dans le secret de leurs alcôves. « Mesurons le danger de la combination et la peur qu’elle inspire, car étant à leurs yeux sœur de tous les nouveaux concepts, elle se heurtera aux rugosités du conservatisme, à la peur des ignorants et aux angoisses obscurantistes des adorateurs de l’ésotérisme, mais cela n’entamera pas notre détermination.
Car nous aurons la patience d’attendre notre heure. Et, soyez-en avérés, elle viendra.
Dispersez-vous, à présent. Un jour Procréateurs vous deviendrez. Il faudra un minimum d'expérience de la fureur humaine pour comprendre le bien fondé de notre inéluctable alliance. Alors que ceux dont le doute s'est emparé partent à la conquête de la perversion et de l'ignominie. Que leur témoignage leur insuffle la raison, et que leur dernier acte de sens, avant que l'ardeur de la combination ne les subjugue, soit de serrer à nouveau la main que je leur tendrai. »
Le 18 Aquan 3727 prirent part à la renaissance des Procréateurs de Combination :
L'Abalcon, spectre Volcanien, d'un reflet incertain tirant les ficelles,
Le Substratum, son allié des jours Dalliens et terre voisine des années à venir,
Le Vaalor, à la force aussi inébranlable que le calme de ses océans,
Le Varozona au mille pouvoirs dont la nature lui avait prodigué l'abri,
Et enfin le Sikhar Atlis, perle rendue anthracite par le charbon qui en émane, allégorie menaçante des plans infiniment complexes de l'esprit revanchard de sa dirigeante Katarilis ;
Le 53 Vertan 3729, après plusieurs mois d'inactivité, prirent part à la refonte des Procréateurs de Combination :
Le Mikanésia, à la valeur stratégique maintes fois avérée,
Le Karnowhel, aux atouts amoindris mais inébranlables,
L'Iwachika Sakazusa, légende vivante de Galactica, fût-elle d'un commerçant ou d'un pillard,
L'Olympus, à la volonté éternelle et non moins écrasante,
Le Radestra, à la loyauté infaillible et à la douceur inégalable,
L'Inotor, qui depuis tant d'années respire l'astucieuse ambivalence taquinerie - droiture,
Le Yodleworld, au nom aussi vieux que la somme des anciennetés des dix plus gros états de l'univers,
Le Mirari, qui de sa jeunesse rayonne comme une force nouvelle dans l'univers,
Le Dies Irae, aux nombreux talents oratoires et commerciaux,
Et enfin l'Empire Platin, dont la puissance d'antan, malgré ces dernières années de faiblesse, fait trembler des milliers d'hommes, et qui donna une aura nouvelle à la Source ;
Qui jamais ne devraient s'enticher d'une existence que les cris des canons et le souffle poudreux des balles ont ruiné.
Sujet: Histoire 
Dim 25 Jan - 4:57